On s’inquiète souvent des enfants qui dérangent, qui parlent fort, qui testent les limites… Mais qu’en est-il de ceux qui ne bougent jamais un cil? Ces enfants « modèles », qu’on croit faciles? Ces enfants toujours polis, qui disent oui à tout et qui ne font jamais de vague, mais qui pourraient cacher un trop-plein d’anxiété? Pour plusieurs adultes, c’est rassurant, ça veut dire qu’on est un parent qui a bien « éduqué » son enfant. Mais en réalité, un enfant trop sage, ça peut parfois cacher un malaise.
Un enfant qui se développe de façon typique, ça négocie pour manger des pâtes au lieu du brocoli, ça trouve plein de défaites pour ne pas se coucher ou se laver, ça pleure pour boire dans le verre bleu ou parce que tu as coupé sa « toast » en 4 carrés, alors qu’il l’avait demandée… en carrés!
Quand on ne voit jamais ces comportements, quand on a un enfant qui range sa chambre sans rien dire, mange ses champignons sans sourciller et lève la main pour demander la permission de… respirer, il y a lieu de se poser des questions. Est-ce qu’il serait en train d’étouffer ses émotions pour rester « parfait »? Souvent, derrière la façade sage, se cachent l’anxiété, le perfectionnisme ou la peur de déplaire.
Et attention: il est très fréquent qu’un enfant soit « modèle » à l’école ou chez les grands-parents, mais qu’il fasse des crises à la maison. Beaucoup de parents se sentent coupables de ce contraste. Pourtant, c’est souvent le signe d’un lien d’attachement sécurisant. L’enfant sait qu’avec son parent, il peut enfin enlever son masque et relâcher la pression. Il lui est alors permis de montrer ses vraies émotions, même les plus intenses, sans craindre de perdre son amour.
Quand la sagesse devient un risque
Notre société valorise beaucoup la sagesse et l’obéissance. On dit souvent aux enfants: « Sois sage! », « Écoute les adultes », « Ne fais pas de chicane ». Bien sûr, le respect et la politesse sont importants. Mais à force de répéter ces messages, certains enfants en viennent à croire qu’ils doivent toujours se taire, toujours obéir. Et ça, ça peut les rendre plus vulnérables.
Un enfant qui n’ose pas dire non risque de subir plus facilement de l’intimidation, des relations d’amitié ou amoureuses toxiques, ou même des abus physiques ou sexuels. Parce qu’on lui a appris que de dire non, c’était mal. Parce qu’il a peur de déplaire ou de se mettre quelqu’un à dos. Certains enfants intègrent donc que pour être aimés, ils doivent être discrets, parfaits, se conformer et toujours être d’accord.
Résultats:
- L’enfant ne dit jamais non quand un ami lui demande son lunch… et se retrouve à ne pas dîner.
- Il accepte de jouer au soccer toutes les récréations, alors qu’il rêve de faire partie du club d’échecs, mais il craint de passer pour le « weird » de l’école et d’être rejeté par les autres.
- À l’adolescence, il peut faire des mauvais coups, se mettre en danger où dans des situations où il n’ose pas poser ses limites, par peur de déplaire.
C’est là que notre rôle de parent devient crucial. Apprendre à nos enfants que dire non, ce n’est pas impoli, c’est aussi se protéger. Il y a par contre un apprentissage à faire sur la façon de dire non ou de faire valoir son point de vue.
Des signaux à observer
Les impacts de cette « sagesse excessive » ne sont pas toujours visibles. À l’école, ces enfants passent sous le radar. À la maison, ils semblent faciles à vivre, mais on retrouve parfois certains signaux qui devraient nous mettre la puce à l’oreille:
- Les maux de ventre du matin (ou du dimanche soir!): l’enfant dit qu’il a mal tous les dimanches soirs? Peut-être qu’il stresse à l’idée d’aller à l’école.
- L’insomnie: difficile de s’endormir parce qu’il a peur d’avoir une faute dans son devoir
- La fatigue constante: un enfant qui semble toujours « vidé », comme si être parfait l’épuisait plus que de participer au camp d’entraînement du Canadien de Montréal.
- Les relations unilatérales: l’enfant est celui qui prête ses jouets, ses devoirs, son temps… mais n’ose jamais dire: « Aujourd’hui, c’est moi qui choisis le jeu ».
Et la douance là-dedans?
Chez les enfants doués, ce phénomène est souvent amplifié. Leur sensibilité, leur conscience aiguë des attentes des adultes et leur besoin de plaire peuvent les pousser à devenir des « enfants parfaits ». Ils captent vite ce qu’on attend d’eux… et s’y conforment.
Un enfant doué peut donc :
- cacher son intensité émotionnelle pour ne pas déranger,
- performer au-delà ou en-deçà de ses forces pour mériter l’amour ou l’approbation,
- s’épuiser à toujours « bien faire » et éviter les erreurs.
Par exemple, un élève doué peut rendre tous ses travaux impeccables, sans jamais demander d’aide, mais exploser à la maison en crises de colère ou en larmes incontrôlables. Ou encore, un ado doué peut dire oui à toutes les demandes de ses amis, incapable de poser une limite par peur d’être rejeté.
Le besoin de plaire et de se conformer peut mener à un perfectionnisme extrême, voire à des troubles anxieux. Et à long terme, ça devient lourd: ces enfants apprennent à se fondre dans le moule plutôt qu’à exister pleinement.
Doués ou non, ces enfants finissent par payer le prix de leur trop grande sagesse. Mais comme parent, on peut les aider à retrouver leur équilibre.
Comme parent, quoi faire?
- Observer: un enfant calme, c’est agréable, mais un enfant qui ne se fâche jamais, qui s’excuse pour tout et qui ne dit jamais non… mérite qu’on se questionne.
- Valoriser l’expression des émotions, même celles qui dérangent. Si votre enfant pique une colère parce que son Lego s’écroule, ce n’est pas un drame éducatif, c’est une saine décompression.
- Encourager les « non » et les désaccords: Félicitez le quand il exprime une opinion différente ou quand il dit: « Non, je n’ai pas envie! ». C’est une compétence à cultiver.
- Normaliser l’erreur: l’enfant a le droit de se tromper. Vous aussi!
- Offrir des espaces où il peut se défouler sans jugement.
- Rappeler que les vrais amis (et les adultes de confiance) respectent ses limites.
- Modéliser: montrez lui comment vous posez vos propres limites. Par exemple: « Non, je n’ai pas envie de sortir ce soir, j’ai besoin de me reposer. ».
- Prendre soin de leur énergie: un enfant doué peut être un feu d’artifice… mais un feu d’artifice, ça consomme beaucoup! Prévoyez des moments de calme, sans performance ni attentes.
Un enfant trop sage n’est pas forcément un enfant heureux. Derrière l’apparente tranquillité, il peut y avoir plusieurs choses qui se cachent.
Grandir, ce n’est pas seulement apprendre à obéir. C’est apprendre à être soi… avec ses colères, ses joies, ses oui et ses non. Parce qu’un enfant sage, c’est bien… mais un enfant libre d’être lui-même, c’est encore mieux.
Et si malgré tout on sent un malaise, consulter un professionnel, comme un psychoéducateur (https://ordrepsed.qc.ca/) peut vraiment aider à décoder ce qui se cache derrière le comportement.
Sources
- Gervais, C. (2020). La pression de la réussite scolaire et le perfectionnisme chez les jeunes. Presses de l’Université du Québec.
- Neihart, M. (1999). The impact of giftedness on psychological well-being. Roeper Review, 22(1), 10–17.
- Peterson, J. S. (2009). Myth 17: Gifted and talented individuals do not have unique social and emotional needs. Gifted Child Quarterly, 53(4), 280–282.
- Terrassier, J.-C. (2009). Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante. ESF.
- Webb, J. T. et al. (2005). A Parent’s Guide to Gifted Children. Great Potential Press.